Par Franck Lemarc
« 87 % du territoire est un désert médical. » C’est par ce constat alarmant que débute la présentation de la proposition de loi Valletoux (Horizons) sur l’amélioration de l’accès aux soins. Frédéric Valletoux, ancien maire de Fontainebleau et fin connaisseur des problématiques de santé, en tant qu’ancien président de la Fédération hospitalière de France (FHF), déplore dans l’exposé des motifs de son texte que « 45 % des médecins généralistes seraient en situation de burn-out » et qu’une quarantaine de départements sont aujourd’hui « sous le seuil critique de 40 spécialistes pour 100 000 habitants ». Le premier objectif de son texte est de « répondre à ces inégalités territoriales ».
Rattachement (presque) obligatoire aux CPTS
Pour cela, le député des Yvelines compte sur une « simplification et une décentralisation » d’un système de santé « noyé par l’enchevêtrement des dispositifs » et la « bureaucratie ». Il propose de trouver des solutions au niveau local, en s’appuyant bien davantage sur les « territoires de santé », qui deviendraient « l’échelon de référence de l’organisation locale de la politique de santé ». Les CTS (Conseils territoriaux de santé), organe de gouvernance des territoires de santé, verraient leurs missions renforcées, et la proposition de loi définit précisément leur composition (article 2) : préfet, directeur de l’ARS, directeurs des organismes locaux de l’assurance maladie, élus locaux, professionnels de santé.
L’article qui fait déjà le plus polémique est l’article 3, qui instaurerait une obligation de rattachement de tous les professionnels de santé aux CPTS (Communautés professionnelles territoriales de santé). En effet, pour Frédéric Valletoux, « les CPTS prendront tout leur sens à la condition qu’elles maillent l’ensemble du territoire et qu’elles emmènent l’ensemble des professionnels libéraux. Elles donneront ainsi de l’efficacité à la coopération entre les soignants et aux projets de soins partagés ». Cette disposition rencontre déjà l’opposition des syndicats de médecins, alors qu’elle est, au fond, relativement permissive, dans la mesure où l’adhésion des professionnels aux CPTS est obligatoire… « sauf opposition de leur part ».
Conseils de surveillance
Autre article important de ce texte : l’article 4, relatif à la permanence des soins. Une loi récente (lire Maire info du 11 avril) a introduit dans le droit la notion de « responsabilité collective de la permanence des soins », confiant cette responsabilité collective aux établissements de santé, médecins, dentistes, sages-femmes et infirmiers.
La proposition de loi de Frédéric Valletoux vise à aller plus loin, en permettant aux ARS (agences régionales de santé) d’obliger l’ensemble des établissements de santé (en apriculier privés) à assurer, si besoin, la permanence des soins en établissement.
Un autre article vise à donner une personnalité morale (de façon facultative) aux Groupements hospitaliers de territoire (GHT) – alors qu’aujourd’hui, seuls les établissements qui les composent en ont une. Mais surtout, il entame enfin une évolution sur la gouvernance des hôpitaux, évolution réclamée par l’AMF depuis que la loi HPST de 2009 a remplacé le conseil d’administration des hôpitaux par un conseil de surveillance, où les élus n’ont plus vraiment de voix décisionnelle. Ces conseils de surveillance, aujourd’hui, n’ont même pas la possibilité de voter le budget des établissements, et deviennent de véritables coquilles vides.
Le texte proposait donc, à l’article 6, de « donner au conseil de surveillance la compétence du vote sur le budget des établissements publics de santé ». La portée de cet article a toutefois été fortement amoindrie en commission. Les membres de la commission, visiblement peu confiants vis-à-vis des élus, ont estimé que « les élus pourraient, en raison de leur positionnement politique, se sentir contraints de rejeter le budget », conduisant à une situation de blocage « faute de budget arrêté en temps voulu ». La commission a donc transformé le pouvoir de délibération du conseil de surveillance sur le budget en « avis simple ».
L’article 7 de la proposition de loi vise à interdire purement et simplement l’intérim médical à tous les professionnels « en début de carrière ». Les derniers articles du texte ont pour objectif de faciliter l’exercice des professionnels étrangers sur le territoire français, en médecine et en pharmacie.
Indicateur territorial
En commission des affaires sociales, le texte a été largement amendé – et sa taille a quasiment triplé, passant de 10 à 27 articles. Outre la modification majeure évoquée plus haut sur les conseils de surveillance des hôpitaux, la commission a adopté des propositions nouvelles. Entre autres, la possibilité de « mise à disposition de fonctionnaires », pour une durée limitée, dans les maisons de santé et les cabinets libéraux des zones sous-denses ; la création d’un « indicateur territorial de l’offre de soin » par les ARS. Une autre proposition a également été adoptée en commission : l’élaboration par le gouvernement d’un rapport sur la suppression de la majoration du ticket modérateur pour les patients non pourvus d’un médecin traitant.
C’est ce texte ainsi modifié par la commission qui devait être présenté en séance publique aujourd’hui. Le dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement, par la Nupes, a modifié le calendrier, et ce texte ne sera abordé que demain.
Débat à venir sur la régulation
Un millier d’amendements a été déposé, ce qui promet des débats animés – la discussion doit durer toute la semaine.
Elle sera l’occasion, pour l’opposition, de remettre sur la table la question de la régulation de l’installation. Cette question est au cœur d’une proposition de loi transpartisane, portée par l’ancien ministre socialiste Guillaume Garot mais co-signée y compris par des députés LR. « À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! », assène le député, qui estime que la suppression du numerus clausus ne permettra pas de résoudre la question de la désertification médicale avant des années. Il propose donc de mettre en place la régulation, c’est-à-dire de permettre aux ARS de délivrer des autorisations d’installation. Cette autorisation, propose le député, serait de droit en zone sous-tendue ; dans les autres cas, elle ne serait délivrée que si l’installation fait suite à la cessation d’activité d’un praticien de la même spécialité sur le territoire.
Ce texte n’ayant pas pu être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, Guillaume Garot veut profiter de la discussion sur le texte de Frédéric Valletoux pour introduire ces dispositions. Il a donc déposé un amendement reprenant très exactement les termes de l’article 1 de sa proposition de loi.
Le dépôt de cet amendement aura le mérite de relancer le débat sur cette question sensible. Le gouvernement, pour sa part, a déjà fait savoir qu’il s’opposerait à cette proposition, par la voix de François Braun, le ministre de la Santé, d’abord, puis par celle de la Première ministre, Élisabeth Borne, qui a estimé hier sur France 3 que « ce n’est pas en empêchant les médecins de s’installer qu’on va répondre aux difficultés » – ce qui apparaît tout de même comme une façon assez spéciale, pour ne pas dire spécieuse, de présenter la question.
© sources : Mairie Info (www.maire-info.com) – 12/06/2023