Cantines : le Défenseur des droits pose la question d’un service obligatoire, y compris dans le primaire

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a publié hier un rapport sur les cantines scolaires dont le titre est sans ambiguïté : Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants. Comme il est expliqué en préambule du rapport, si les questions que s’est posées le Défenseur des droits ces dernières années tournaient autour de l’égalité d’accès des enfants aux cantines existantes, une autre émerge aujourd’hui : celle d’un « droit à la cantine scolaire pour tous les enfants ». Il prône donc l’amorce d’une réflexion sur un service public obligatoire de restauration scolaire dans le primaire (un tel service n’est aujourd’hui obligatoire que dans le secondaire), tout en « ne méconnaissant pas les contraintes pesant sur les collectivités » et en estimant qu’il devrait revenir à l’État de financer un tel dispositif.
Le rapport du Défenseur des droits pointe la persistance « d’inégalités territoriales » dans le domaine de la restauration scolaire, les communes ayant « la liberté de décision » d’installer un service de restauration scolaire et d’en fixer les tarifs. Les communes étant « tributaires des capacités budgétaires différentes », ces différences se ressentent, mécaniquement, dans les cantines. Les communes les moins riches ont tendance à « privilégier un tarif unique, moins favorable aux familles à bas revenus », détaille Jacques Toubon.

Principe de non-discrimination
Le rapport établit une claire différence entre le principe d’égal accès à tous les enfants au service de restauration scolaire – lorsqu’il existe – et l’idée d’un service public obligatoire. Il rappelle que la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017 a établi le principe suivant : « L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille. » L’institution dirigée par Jacques Toubon a été saisie de nombreuses réclamations depuis, et la justice administrative elle-même a été amenée à clarifier le droit. Il est donc maintenant clairement établi que « réserver l’accès à la cantine aux enfants dont les parents travaillent, restreindre l’accès à la cantine d’enfants en situation précaire ou ne pas mettre en œuvre l’obligation d’aménagement raisonnable constituent autant de discriminations fondées sur des motifs prohibés ». De son côté, l’AMF s’était vigoureusement opposée à ce nouveau droit en faisant valoir qu’une telle disposition, au-delà de son objectif louable, n’est pas de nature à prendre en compte les contraintes réelles des communes en termes de capacités d’accueil et de locaux disponibles.
Le Défenseur des droits rappelle également que les conflits liés à des impayés doivent « uniquement faire l’objet de procédures entre les collectivités et les parents, sans impact sur les enfants », autrement dit : « Les enfants ne doivent pas payer pour les parents. » Il rappelle le cas choquant d’une fillette de cinq « escortée hors du restaurant scolaire par une policière municipale en raison d’une facture impayée », ou encore la pratique, née aux États-Unis, des « déjeuners humiliants », consistant par exemple à servir à un enfant dont les parents n’ont pas payé la cantine des repas uniquement composés de raviolis. Confronté à un cas de cette pratique « stigmatisante », en 2017, le Défenseur des droits l’avait fermement condamnée. L’AMF avait diffusé auprès de ses membres cette décision condamnant l’importation en France de la pratique du déjeuner humiliant, comme l’avait recommandé le Défenseur des droits.

Tarification progressive
Le Défenseur des droits estime que la tarification progressive, là où il est possible de la mettre en place, joue « un rôle essentiel pour l’accès à la restauration scolaire (et) conditionne largement l’effectivité du droit à la cantine pour tous ». Il commente également les tentatives récentes d’aller vers une forme de gratuité ou quasi-gratuité pour les familles les plus fragiles, avec la proposition de loi Le Bohec (mars 2018), visant à instaurer « cinq grilles tarifaires dont la première serait gratuite ». Jacques Toubon se dit favorable à un tel système, mais rappelle que « compte tenu des contraintes de financement des communes, il convient de lever les incertitudes sur la compensation par l’État de cette dépense, qui demeure incertaine ». Même commentaire sur l’annonce faite par le gouvernement, le 7 avril dernier, d’expérimenter le « repas à un euro » (lire Maire info du 8 avril) : la mesure sera de nature à « renforcer le droit à l’inscription à la cantine (…) pour les enfants de familles défavorisées », mais la question du financement reste à ce jour non résolue, d’autant que l’aide de l’État ne sera réservée qu’aux communes éligibles à la DSR-cible – comme si les enfants pauvres n’étaient pas une réalité dans tous les territoires.

Repas différenciés
Un autre chapitre du rapport revient en détail sur la question parfois épineuse de la composition des repas et des menus différenciés. Aux problématiques liées à la religion s’ajoute maintenant, de plus en plus souvent, celle de la montée en puissance des habitudes alimentaires végétariennes voire vegans. L’équilibre est parfois très difficile à trouver, note le Défenseur des droits, entre l’absence d’obligation des communes, le respect du principe de laïcité, le respect de la liberté de conscience et l’obligation de non-discrimination.
Rappelons que la loi Egalim prévoit qu’à compter du 1er novembre 2019, pour une durée de deux ans à titre expérimental, les gestionnaires publics et privés sont tenus de proposer, au moins une fois par semaine, un menu végétarien. En outre, lorsque plus de 200 couverts par jour en moyenne sur l’année sont servis, les gestionnaires doivent présenter un plan pluriannuel de diversification des protéines, en incluant des alternatives à base de protéines végétales dans les repas.
À noter que Jacques Toubon rappelle que le recours aux PAI (projets d’accueil individualisés) n’est « pas une solution pour les régimes végétariens ou vegans ». Les PAI sont en effet « strictement réservés aux enfants présentant des troubles de santé spécifiques ». Il préconise néanmoins, face à la montée en puissance de ces régimes, que soit menée « une réflexion sur la généralisation du menu végétarien de substitution ».
À l’AMF, on rappelle ce matin que les gestionnaires de restaurants scolaires doivent faire face à un accroissement considérable des normes qui s’imposent à eux depuis la loi Egalim, allant de l’obligation de servir 50 % de produits durables dont 20 % issus de l’agriculture biologique, aux nouvelles règles en matière d’usage du plastique.

Qui paye ?
En conclusion, le Défenseur des droits appelle à une réflexion sur « l’évolution du statut du service public de restauration scolaire », pouvant aller vers l’instauration d’un tel service obligatoire y compris dans le primaire. Mais, conscient des difficultés financières de nombreuses collectivités, il appelle l’État à « réfléchir », au titre de « sa mission d’organisation générale du service public de l’Éducation », à prendre lui-même les mesures nécessaires.
Une position qui se rapproche de la conclusion de l’AMF dans son dernier communiqué sur la question de la restauration scolaire : « Qui paye décide, qui décide paye ».

F.L.

Télécharger le rapport.


© sources : Mairie Info (www.maire-info.com) – 20/06/2019