Regards croisés sur le fonctionnement des Sociétés Publiques Locales le 11 Avril dernier, à Toulon

L’AMF83 et l’Université du Sud Toulon Var ont invité les maires du Var à participer à un colloque sur l’organisation, le fonctionnement et les prérogatives des sociétés publiques locales en France. Si le dispositif comporte de nombreux avantages (notamment l’exception au principe général de mise en concurrence, dite du in-house), il n’est pas sans risques pour les collectivités qui n’en maîtriseraient pas tous les rouages. Fort heureusement, les universitaires et les avocats qui ont animé les débats ont apporté leur lumière sur les zones d’ombres du dispositif. Pour Jean-Pierre VERAN, président de l’AMF83, « La création des SPL est un signal fort axé sur la coopération et pour l’optimisation de la gestion des deniers publics. Il est primordial que les élus puissent avoir des informations sur ces nouveaux outils afin qu’ils puissent mieux organiser la mutualisation de leurs équipements et de leurs services dans un contexte de crédits budgétaires en forte baisse. © photo : AMF83.

Le concept de « société publique locale » est né pour répondre aux difficultés des sociétés d’économie mixte locales (SEML) en matière de gestion de la commande publique, jugée opaque et trop fortement préjudiciable pour les opérateurs privés.
En votant la loi du 28 Mai 2010 , l’Assemblée Nationale a permis aux collectivités territoriales de se reporter vers un nouvel outil, la Société Publique Locale (dont elles sont actionnaires à 100%) pour réaliser des opérations d’aménagement et de construction au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme.
Leurs modalités d’intervention, qui les dispensent de toute publicité et mise en concurrence préalables demeurent en conformité avec les principes posés par le droit communautaire.

Néanmoins, alors que 80 % des 16 000 entreprises publiques locales recensées en Europe sont des SPL, leur nombre ne semble pas vouloir grossir sur le territoire français.
Un manque d’intérêt que Grégory MARCHESINI, maître de conférence HDR à l’université du Sud Toulon Var explique par l’absence de pragmatisme des élus sur les retombées immédiates de cette loi sur l’économie locale:  « Le législateur a souhaité que les collectivités territoriales puissent enfin bénéficier d’un outil juridique plus souple et plus maléable associant l’efficacité du privé aux valeurs du public, dans un contexte de désengagement de l’Etat. Le résultat n’est peut-être pas à la hauteur à ce jour, mais il faut essayer de comprendre, trois ans après, si c’est le texte lui même ou la réalité de son application qui doit être remis en cause ».

Une gouvernance plus simple, mais pas sans risques

Les différences entre les SEM et les SPL sont connues. Les SEM sont des sociétés anonymes créées par les collectivités locales ou leurs groupements. Elles sont constituées d’au moins sept actionnaires, dont l’un est obligatoirement une personne privée. Les collectivités locales membres sont majoritaires et détiennent plus de 50 à 85 % du capital. Elles sont compétentes pour réaliser des opérations d’aménagement et de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ainsi que pour toute autre activité d’intérêt général. Leur champ d’action territorial n’étant pas limité, elles peuvent intervenir pour d’autres clients que leurs actionnaires ainsi que pour leur propre compte.
Quant aux SPL, elles doivent être constituées d’au moins deux collectivités publique locales actionnaires à 100%. Elles exercent les mêmes compétences que les SEM mais ne peuvent travailler que pour leurs actionnaires publics et sur leurs seuls territoires. Considérée comme un opérateur interne, les SPL n’ont pas à être mises en concurrence par leurs actionnaires publics.

Pour Sébastien BRAMERET, Maître de Conférence et Vice-doyen de la Faculté de droit de Grenoble II, « ces nouvelles structures de gestion n’ont pas vocation à remplacer les EPCI. Elles sont simplement un instrument de coopération qui fonctionne sur un principe d’actionnariat local concentré, et cela, à l’avantage exclusif des collectivités membres. Ce sont aussi des entreprises enracinées sur leurs territoires qui créent des emplois non délocalisables, et cet aspect est loin d’être négligeable« .
Un point de vue partagé par Laurent CARRIE, Directeur Général des Services de la communauté d’agglomération de Sophia Antipolis, pour qui « la SPL est un outil souple qui peut se créer et se dissoudre facilement, que l’on peut doter de contenus et de prérogatives sur mesure et qui n’est pas forcément plus cher qu’une SEM ».
Autre point de vue, plus nuancé cette fois : celui de Michel GIMOU, Professeur d’Economie à l’Université Toulon Sud Var, pour qui la création d’une SPL peut comporter des risques : « l’absence de continuité territoriale – qui n’est plus obligatoire- peut faire s’interroger les citoyens sur la valeur réelle du projet en terme de développement local, d’économies d’échelle et surtout en terme de performance. A mon sens, la SPL, c’est le contraire de l’externalisation, c’est la ré-internalisation des fonctions. »

Ni une panacée, ni un placébo !

Economie d’échelle, mutualisation, capitalisation de l’expertise, bénéfices immédiats. Le vocabulaire du marketing a largement nourri la deuxième partie des débats. Pour Didier LINOTTE, Professeur Emerite, Président du Tribunal Suprême de Monaco et Avocat au Barreau de Paris, « la SPL est un outil qui n’est ni une panacée, ni un placébo. Elle permet cependant une dotation importante en ressources humaines et en moyens matériels. Quant à la dotation en capital, elle reste libre mais encadrée, ce qui est une garantie pour l’exercice de bonnes pratiques de gestion »
Mais pour Sophie PEREZ, Maître de conférences à l’Université de Nice, ce ne sont pas les moyens qui posent problème, c’est la marche de la loi elle-même : « les collectivités territoriales sont confrontées à la mise en oeuvre d’un droit qui les dépasse et qui ne participe pas suffisamment assez à leur élaboration. S’agissant des SPL, l’Etat va devoir s’accorder avec les différentes réglementations en vigueur, particulièrement en terme de mise en concurrence et de transparence à l’échelle européenne ».

 

Revenir à la concurrence?

Notre département héberge trois Sociétés Publiques Locales. La plus importante, ID 83, créée à l’initiative du Conseil général du Var a ouvert son capital à 77 communes rurales, c’est-à-dire la moitié du nombre total de communes du département. Pour son directeur, Bruno KACZMAREK, le succès d’ID83 correspond à un triple besoin : la nécessaire refonte des services de l’Etat auprès des territoires ruraux, la simplification des normes administratives et la mise au régime de l’arsenal juridique, à la complexité croissante. « Nous n’avons pas vocation à remplacer les collectivités locales mais seulement à les soutenir techniquement. Nous ne remplaçons pas les fonctions supports. Notre mode de fonctionnement nous autorise à recruter du personnel de façon périodique, ce qui nous permet d’intervenir rapidement et de réduire les coûts, c’est-à-dire de rendre service à des prix raisonnables ».

Pourtant, selon Mickaël KARPENSCHIF, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon III, Avocat au barreau de Lyon, une SPL fortement doté en communes actionnaires peut être problématique. « La concurrence, c’est faire émerger la meilleure offre au meilleur prix. Si vous confiez un maximum de compétences à une société publique locale, vous créez un monopole local. Faire rentrer plus de la moitié des communes d’un département dans une SPL, c’est créer un abus de position dominante.  N’oublions pas que la société publique locale demeure une entreprise commerciale. A ce titre, elle ne peut avoir de comportement anti concurrentiel ».
Un sentiment que partage également Marc LARUE, Président de la Chambre Régionale des Comptes de la Région PACA : «  les SPL et les collectivités locales passent un marché et après, elles veulent un avenant, puis deux, puis trois, ce qui finit par destabiliser l’économie même du contrat. Si la nature du besoin change en fonction de l’avancement du marché, il faut repasser en concurrence. Or, rien dans la loi n’invite ni ne permet cette initiative. C’est un peu compliqué… » 

Pour clôturer les débats, Maître Patrick LOPASSO, Avocat au barreau de Toulon a recensé les risques contentieux liés à la création des SPL (pas de contentieux de masse mais recours possible pour atteinte à la concurrence, procédures de recours dans les juridictions commerciales et civiles, déféré préfectoral, contrôle de la cour des comptes, délit de favoritisme, banqueroute).

 

En savoir plus (info AMF):

« Pour épauler les élus locaux dans la mise en œuvre d’un contrôle analogue effectif », la fédération des SPL a donc élaboré un guide « qui compile les bonnes pratiques déployées localement » ainsi que ses « recommandations issues de son expertise juridique et d’une analyse fine de la jurisprudence « .
Quel dispositif statutaire mettre en place ? Comment assurer un contrôle analogue en cas d’actionnariat multiple ? Quel est le rôle dévolu aux élus locaux en matière de « in house » ? Autant de questions auxquelles ce guide entend apporter des réponses précises.
Télécharger le guide.