« Anticiper l’échéance de 2025 » et concevoir une « application différenciée » du dispositif. Après la Fondation Abbé-Pierre et la commission nationale SRU, c’est au tour de la Cour des comptes de rendre ses observations et ses recommandations sur l’avenir de l’article 55 la loi SRU et sa politique de quotas de logements sociaux dont l’échéance arrive à terme en 2025.
Dans cette enquête publiée mercredi et commandée par la commission des finances du Sénat, celle-ci rappelle qu’il est désormais acquis « qu’un nombre significatif de communes n’aura pas atteint en 2025 l’objectif de 20 % ou de 25 % de logements locatifs sociaux prévu par la loi ». Le président de la commission nationale SRU, Thierry Repentin, a d’ailleurs évalué le nombre de logements sociaux manquants à la date butoir à « plus de 600 000 logements » et estimé qu’« il faudrait 5 à 14 ans en moyenne aux communes soumises à 20 % et 11 à 30 ans en moyenne aux communes soumises à 25 % » pour remplir leurs obligations légales à l’horizon 2025.
Un dispositif efficace avec de grandes disparités
Dans ce contexte, la Cour fait un constat similaire à ceux de la Fondation Abbé-Pierre et de Thierry Repentin : si le dispositif adopté en 2000 est bien « efficace » et son effet positif « incontestable » pour soutenir la production de logements sociaux, il reste « inégalement appliqué sur le plan géographique ».
Entre 2017 et 2019, « 210 737 logements sociaux, soit plus de la moitié des logements construits sur le plan national, l’ont été dans les communes soumises à la loi SRU », selon les auteurs du rapport, qui observent que la grande majorité des élus, associations et bailleurs qu’ils ont rencontrés « n’entendent pas remettre en cause le dispositif de l’article 55 dans son principe qui est aujourd’hui accepté » bien qu’ils en souhaitent « parfois des adaptations ». Cependant, cette production de logements recouvrirait de « grandes disparités entre les régions et, au sein des différentes régions, entre les communes ».
A l’échelle de l’Hexagone, « seules 485 » communes sur les 1 035 concernées (47 %) ont atteint leur objectif fixé pour la période 2017-2019. Des résultats qui montrent les « difficultés et les tensions rencontrées dans l’application de l’article 55 », constatent les magistrats qui pointent « les contraintes et les spécificités locales » et la « complexité » d’un dispositif souvent sujet à des « divergences d’interprétation » (sur certains « critères d’exemption » comme l’indice de tension du parc social).
En outre, si l’effet sur la production de logement social est « indéniable », « il est moins évident qu’il ait significativement contribué à développer la mixité urbaine et sociale, objectif premier de la loi SRU ». Le « taux SRU » n’aurait ainsi que « faiblement progressé, d’environ cinq points entre 2002 et 2016 ». Et les auteurs du rapport d’expliquer que « la volonté d’atteindre rapidement un objectif quantitatif de logements sociaux conduit à concentrer le logement social dans certains quartiers ou certains espaces dans lesquels le foncier demeure moins cher et plus disponible, renforçant ainsi la ségrégation et la ghettoïsation ».
Différenciation
Dans ce cadre, la Cour estime qu’il est « nécessaire d’anticiper l’échéance de 2025 » pour adapter le dispositif. Elle demande ainsi aux services de l’État d’établir « dès maintenant la projection la plus fine possible pour identifier et caractériser les communes susceptibles de ne pas pouvoir remplir leurs obligations ».
Afin de corriger les faiblesses du dispositif, elle propose de prévoir pour certaines communes une « application différenciée […] conçue selon les collectivités » afin de « prendre en compte de façon plus fine [leurs] spécificités ». Dans ce cadre, les « contrats de mixité sociale », conclus entre le préfet et la collectivité pourraient être un outil « adapté », selon la Cour, « sous réserve d’être suffisamment précis quant à la définition des objectifs fixés aux communes et à la mobilisation de l’ensemble des instruments disponibles ». Elle préconise une « implication plus forte des intercommunalités » et « le recours à la méthode contractuelle ». Cette application différenciée pourrait, « au minimum, moduler l’horizon temporel d’atteinte d’un taux de logements sociaux, ce dernier demeurant uniforme au plan national ».
Par ailleurs, devant la difficulté de définir et de mesurer l’objectif de mixité social, la Cour souhaiterait, dans la perspective de « l’après 2025 », « ouvrir la réflexion sur le dispositif destiné à succéder à l’article 55 ». « Ce nouveau cadre devrait intégrer l’évolution sociale de la population et sa répartition territoriale, en affinant la distinction entre les zones de tension et les zones peu tendues ainsi que les nouveaux équilibres de compétences entre les collectivités territoriales », conclut-elle.
Pour rappel, la ministre du Logement Emmanuelle Wargon avait défendu l’idée, fin janvier dans Le Parisien, qu’il faille « accepter de sanctionner les communes qui ne jouent pas le jeu », reprenant une proposition du rapport Repentin, tout en se disant « prête à être pragmatique » avec les communes qui le jouent et qu’« aucune décision n'[était] bien sûr prise à ce stade ».
Elle avait également fixé un objectif de 250 000 constructions de logements sociaux en deux ans pour « rattraper [le] retard ». Un « défi » qui serait financé « avec de l’argent de l’Etat » et, « avec l’accord des partenaires sociaux, nous allons mettre ensemble 1,5 milliard d’euros avec Action logement ».