Par Caroline Reinhart
Dernière ligne droite pour le ZAN, après deux ans de rebondissements. Cette semaine a débuté le sprint final autour de la proposition de loi portée par les sénateurs Valérie Létard (Nord) et Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse), avec, en ligne de mire, une CMP conclusive d’ici le 14 juillet. L’enjeu est de taille : c’est le dernier véhicule législatif possible pour améliorer la réforme en respectant les échéances de la loi Climat et résilience de 2021, compte tenu des élections sénatoriales.
Alors que la nouvelle mouture des décrets relatifs à la nomenclature des sols et à la territorialisation des objectifs ZAN venait d’être dévoilée, les commissions du développement durable et des affaires économiques de l’Assemblée nationale se sont ainsi réunies les 13 et 14 juin autour du texte sénatorial. Adoptée le 16 mars, cette proposition de loi vise à rééquilibrer le dispositif ZAN prévu par la loi Climat pour le rendre applicable dans tous les territoires, en tenant compte de leurs spécificités.
Promesse du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, le texte a bel et bien été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, après qu’une proposition de loi concurrente a été déposée par les députés Renaissance Lionel Causse et Bastien Marchive, devenus rapporteurs du texte à l’Assemblée. « Aucune disposition ne remet en cause l’objectif de réduction de 125 000 hectares (de sols artificialisés d’ici 2031). Il s’agit d’une loi d’assouplissement et de rééquilibrage entre les territoires », a d’emblée précisé le ministre, présent tout au long de la discussion en commission.
Conférence régionale du ZAN : composition élargie
Après passage en commissions, la composition de la conférence régionale du ZAN instaurée par la proposition de loi sénatoriale est modifiée. Les représentants des EPCI passent de 10 à 15, et le nombre de représentants des EPCI non couverts par un Scot de 5 à 3. Le nombre de représentants des communes compétentes en matière de document d’urbanisme passe de 10 à 7.
Efforts passés, part réservée
Également discuté, l’article 6 du texte sénatorial prévoyait la prise en compte des efforts de réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers déjà réalisés par les collectivités. Estimant cette notion « compréhensible » et « partagée », Christophe Béchu a plaidé pour l’amendement de suppression porté par le rapporteur Lionel Causse, afin de faire du décret le véhicule de cette notion, pour plus de souplesse.
Autre disposition passée à la trappe législative « avec l’assentiment du Sénat », selon Christophe Béchu : l’article 8 qui prévoyait une part réservée au développement territorial, en dehors de ce qui peut déjà être prévu par un PLU. Le ministre estime qu’il y aurait un « risque d’atrophie foncière » à multiplier les dispositifs de réserve.
Littoral, montagne et travaux
Un amendement du rapporteur Lionel Causse modifie l’article 10 afin « d’intégrer plus explicitement les enjeux liés au recul du trait de côte dans les critères de territorialisation des objectifs chiffrés de lutte contre l’artificialisation des sols », mais sans entrer dans le détail du décompte. Autre motivation :« Permettre de pouvoir considérer comme désartificialisées des surfaces qui ne le seraient pas encore dans les faits dès lors qu’elles se situent dans les zones les plus exposées (0-30 ans) et qu’elles ont vocation à être renaturées dans le cadre d’un projet de recomposition spatiale du territoire littoral. ».
Par ailleurs, les dispositions spécifiques aux territoires de montagne sont sorties du texte de la loi pour être intégrées au nouveau décret « territorialisation des objectifs dans les Sraddet ». Même nettoyage pour l’article 13, qui traitait de la renaturation et de la question des travaux dans le décompte ZAN : ce qui relève de la nomenclature est renvoyé au décret.
Sraddet : objectif août 2024
Afin d’intégrer les objectifs ZAN dans les Sraddet, les sénateurs avaient adopté le report d’un an du délai déjà modifié par la loi 3DS. Le texte de la commission le réduit à 6 mois. Les Sraddet devront être prêts pour août 2024, et non février 2025 comme prévu par la proposition de loi initiale. Dans le détail, le texte adopté en commission revient sur le délai d’approbation des Sraddet prévu par la proposition de loi, qui l’avait réduit à un mois. Le délai de 3 mois prévu par la loi Climat de 2021 est rétabli. « Il faut redonner du temps aux régions pour discuter avec les communes », a estimé Christophe Béchu.
L’article 2, qui prévoyait un simple lien de prise en compte entre Sraddet et documents infrarégionaux, a été supprimé. Le ministre Christophe Béchu s’est dit « opposé à la prescriptivité du Sraddet pour ne pas tomber dans une forme de tutelle d’une collectivité sur une autre ». Une solution intermédiaire a été retenue dans la nouvelle rédaction du décret « territorialisation des objectifs ». L’exposé de l’amendement indique que « pour adopter une approche plus proportionnée et qualitative du rôle de la région et ne pas conduire à contraindre de façon excessive les documents infrarégionaux, le décret ne rend plus obligatoire la fixation d’une cible chiffrée à l’échelle infrarégionale dans les règles générales du Sraddet. »
Il est à noter que les mesures qui permettaient l’élargissement de l’utilisation du DPU pour faire de la réserve foncière en vue d’opération de renaturation ont été supprimées, ce que l’AMF juge « incompréhensible ».
Grands projets : un cadre, une liste…
« Article clé de la discussion » pour Christophe Béchu, l’article 4 de la proposition de loi sénatoriale a été totalement récrit en commission des affaires économiques. Il prévoit désormais que « peuvent être considérés comme des projets d’envergure nationale ou européenne » les travaux ou les opérations « qui sont ou peuvent être, en raison de leur nature ou de leur importance, déclarés d’utilité publique par décret en Conseil d’État ou par arrêté ministériel » ; les travaux ou les opérations de construction de ligne ferroviaire à grande vitesse et leurs débranchements ; les actions ou les opérations d’aménagement réalisées par un grand port de l’État, ou pour leur compte, ainsi que celles réalisées par le port de Strasbourg ; les opérations intéressant la défense ou la sécurité nationales ; la réalisation d’opérations, de construction ou de réhabilitation d’un établissement pénitentiaire ; les actions ou les opérations d’aménagement de l’État ou de l’un de ses établissements publics réalisées pour leur compte, « le cas échéant par un concessionnaire », dans le périmètre d’une opération d’intérêt national ; et enfin, les projets industriels d’intérêt majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, « ainsi que ceux qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable. ».
La liste des projets qui font l’objet d’une comptabilisation au niveau national sera fixée par arrêté, après avis des conseils régionaux et de la conférence régionale du ZAN. À noter que l’arrêté pourra être modifié pour faire évoluer la liste, « notamment si un nouveau projet d’envergure nationale ou européenne qui présente un intérêt général majeur est identifié après la dernière modification ou révision d’un document de planification régionale. »
… et un forfait national
Le mode de prise en compte de ces grands projets dans les compteurs ZAN a également été précisé. Concrètement, il est prévu que l’artificialisation engendrée par les grands projets d’envergure nationale ou européenne fait l’objet d’un décompte « mutualisé » et distinct des documents d’urbanisme et de planification. Selon l’exposé de l’amendement du rapporteur, « un tel mécanisme de ‘’compté à part’’ permet de s’assurer que ces projets, dont l’incidence foncière peut être considérable à l’échelle locale et régionale, ne soient pas imputés uniquement à leur territoire d’accueil, alors même qu’ils bénéficient à l’ensemble du territoire national. ».
Des estimations produites par le gouvernement ont permis de prévoir que la totalité de ces grands projets représenterait environ 15 000 ha pour la décennie 2021 2031. Il est donc prévu qu’un « forfait national » de 15 000 ha soit retenu et soustrait des 125 000 ha qui représente l’objectif national de réduction de moitié de la consommation d’ENAF sur la première période décennale. L’exposé de l’amendement indique encore que « le solde, soit 110 000 ha, fera l’objet d’une répartition assurée en raison de l’application d’un coefficient de péréquation entre les régions au plafond applicable aux régions couvertes par un Sraddet ». Ce coefficient sera fixé par arrêté ministériel.
Garantie rurale, sursis à statuer
L’article 7 du texte a été amendé afin d’encadrer la garantie rurale d’un hectare par commune pour la première tranche de dix années. Le texte sorti de la commission prévoit qu’elle ne concernera que les communes classées comme peu denses ou très peu denses. Et « pour inciter les communes à se doter des outils de la planification locale », elle est subordonnée à la présence d’un document d’urbanisme ou à l’engagement à élaborer un PLU ou un PLUi. Cette surface minimale artificialisable pourra être mutualisée par les maires, si leur projet le nécessite.
L’article 12, instaurant un sursis à statuer spécifique au ZAN, a également été modifié. Cette procédure doit être motivée « par le risque que l’autorisation de construire sollicitée compromette l’atteinte des objectifs de réduction de la consommation prévue durant la première tranche de dix ans, soit du fait de son ampleur, soit du fait de la faiblesse des capacités résiduelles de consommation, au regard des objectifs de réduction susceptibles d’être fixées par le document d’urbanisme en cours d’élaboration. ».
Le texte sorti de commission comprend une « clause de revoyure » : un bilan d’étape devra être établi tous les cinq ans sur la mise en œuvre des dispositions relatives aux grands projets et à la garantie rurale. Il devra aussi évaluer les incidences du régime de réduction de l’artificialisation sur la production de logements, la réalisation de projets concourant à la transition écologique, et la préservation de la biodiversité.
Reste une question : quels moyens pour porter cette révolution ZAN ? « Le financement est l’angle mort de la réforme. Il sera traité dans le prochain projet de loi de finances. Je crois au principe du pollueur-payeur, et je suis favorable à une surtaxe sur l’artificialisation pour abonder le fonds friches » a indiqué le ministre Christophe Béchu. C’est l’autre volet hautement sensible du ZAN…
© sources : Mairie Info (www.maire-info.com) – 16/06/2023