Rapprocher la justice des élus : tel est, en résumé, l’objectif de la mission confiée par l’Inspection générale de la Justice (IGJ), dont elle est membre, à Adeline Hazan, magistrat et ancienne maire et présidente de la communauté d’agglomération de Reims (Marne), de 2008 à 2014. À sa demande, une visioconférence s’est tenue, le 12 mars, en sa présence, avec une quarantaine de maires et présidents d’associations départementales de maires. L’occasion pour Adeline Hazan de recenser les observations et propositions des élus et de leur soumettre d’ores et déjà quelques propositions susceptibles de figurer dans le rapport qu’elle rendra fin avril. « Je pense qu’il faut adapter la justice aux spécificités locales, impliquer davantage les magistrats dans la connaissance du territoire de leur ressort et renforcer le dialogue avec les élus », a indiqué d’emblée Adeline Hazan.
Les élus ont largement partagé ce point de vue. « Il faut favoriser une meilleure fluidité de l’information entre les maires et les autorités judiciaires et adapter l’organisation de la justice à la structuration de certains dispositifs territoriaux comme les quartiers de la politique de la ville », a estimé Marie-Claude Jarrot, maire de Montceau-les-Mines et présidente de l’Association départementale (AD) des maires de Saône-et-Loire. « Les élus n’ont quasiment pas de retours sur les signalements qu’ils effectuent auprès de la justice, qu’il s’agisse de classements sans suite ou de condamnations », a déploré Emmanuelle Anthoine, députée de la Drôme. « Il faut informer les maires de l’existence des dispositifs et structures partenariales existantes avec la justice car beaucoup les ignorent », a souligné Isabelle de Montgolfier, maire de Saussines (Hérault).
Conseil de juridiction
Adeline Hazan a interrogé les élus sur la mise en place (ou pas) d’un « conseil de juridiction » : coprésidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République, cette instance, créée par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, est un lieu d’échanges et de communication entre la juridiction et la commune, auquel des maires et des représentants d’associations participent. « Nous en avons un et c’est un lieu d’échanges très utiles avec les différentes juridictions », a souligné Gérard Fillon, maire de Beurey-sur-Saulx et président de l’AD de la Meuse. Plus sceptique, Jean-Pascal Thomasset, maire de Nantua et président de l’AD des maires de l’Ain, a indiqué qu’un « conseil de juridiction existe bien mais cette instance, comme l’audience solennelle de rentrée, se réunit une fois par an et n’est pas adaptée aux attentes des élus. Les maires ont besoin de rencontrer régulièrement tous les acteurs de la justice, ils ont besoin que les magistrats les aident à comprendre le vocabulaire et les procédures judiciaires, qu’ils leur expliquent comment réagir face à telle ou telle situation ». Olivier Pavy, membre du comité directeur de l’AMF, a illustré ce dernier point en soulignant « la relative méconnaissance du maire s’agissant de la procédure lorsqu’il est confronté à une demande d’hospitalisation d’office », une situation confirmée par d’autres élus. Plusieurs d’entre eux ont souligné l’intérêt des conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD, CISPD) pour le partage de l’information, tout en pointant les limites de ces instances dans l’échange concrets et régulier avec la justice. Les élus ont enfin unanimement souhaité que ce partage se borne à l’échange d’informations « utiles » pour les élus, rejetant la possibilité d’un libre accès des maires aux fichiers nominatifs, susceptible d’engager leur responsabilité.
Adapter le maillage judiciaire
À la lumière de ces échanges, Adeline Hazan a d’ores et déjà dévoilé quelques propositions qui devraient figurer dans son rapport, en avril : généralisation des conseils de juridiction « dont un rapport d’activité serait présenté lors de l’audience de rentrée des juridictions », le renforcement de la présence des magistrats au sein des CLSPD et CISPD, « l’invitation des procureurs à présenter et expliquer aux élus leur politique pénale, sans que cela porte atteinte à leur indépendance », « la possibilité pour les élus de présenter aux magistrats leurs projets de territoires et de leur fournir tous les indicateurs utiles » afin « d’adapter dans la mesure du possible » le maillage judiciaire au maillage administratif et institutionnel. Gérard Fillon, président de l’AD des maires de la Meuse, a de son côté souligné « le rôle important que les associations départementales de maires peuvent jouer pour renforcer les liens avec la justice », citant la convention signée, en février, entre le tribunal judiciaire de Dijon et l’AD des maires de la Côte-d’Or, prévoyant notamment la mise en place d’un protocole de signalement et de suivi des dossiers concernant les élus municipaux victimes de violence. L’AD de la Meuse signera une convention similaire prochainement.
Xavier Brivet