Dans un rapport publié hier, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, dénonce une dématérialisation des services publics trop rapide et laissant sur le bord du chemin un nombre inquiétant d’usagers.
Jacques Toubon ne mâche pas ses mots : certes, la dématérialisation peut être « un puissant levier d’amélioration de l’accès aux droits », mais si « l’ambition collective se résume à pallier la disparition des services publics sur certains territoires et à privilégier une approche budgétaire et comptable », l’objectif ne sera pas atteint. Il ne le sera pas davantage si cette évolution se fait « à marche forcée » ni si elle aboutit « à une déresponsabilisation des pouvoirs publics, en renvoyant notamment à la sphère associative la prise en charge de l’accompagnement des usagers ».
Pour Jacques Toubon, « aucune évolution technologique ne peut être défendue si elle ne va pas dans le sens de l’amélioration des droits pour tous et toutes ». Or la dématérialisation telle qu’elle se fait aujourd’hui conduit plutôt à « priver certains de leurs droits (…) et exclure encore davantage des personnes déjà exclues ».
À titre d’exemple, les services du Défenseur des droits ont reçu depuis trois ans « plusieurs milliers de réclamations » sur le seul sujet de la délivrance des permis de conduire et des cartes grises. L’AMF, lors de son audition par les services du Défenseur des droits, avait d’ailleurs insisté sur les difficultés des communes pour immatriculer leurs propres véhicules.
Fractures territoriales et sociales
Le Défenseur des droits pointe d’abord « un risque de fracture territoriale » : il rappelle que, à cause de la persistance des zones blanches et grises et des problèmes de réseau, 500 000 personnes en France n’ont pas accès à une connexion internet fixe et que « plus d’un tiers des habitants des communes de moins de 1000 habitants n’ont pas accès à un internet de qualité ». Sans parler des outre-mer, où l’accès au matériel informatique et à des connexions de bonne qualité reste « difficile ».
Vient ensuite le problème ce que l’on appelle aujourd’hui « l’illectronisme », c’est-à-dire les difficultés à se servir des outils numériques. Il est rappelé que 7 millions de personnes « ne se connectent jamais à internet » et qu’un tiers des Français s’estiment « peu ou pas compétents » face à un ordinateur. L’absence de connexion est particulièrement élevée « chez les retraités, les non-diplômés et les personnes ayant de faibles revenus ». Autres « laissés pour compte de la dématérialisation » : les personnes en situation de handicap, les majeurs protégés et les détenus.
Ces difficultés amènent une augmentation inquiétante du non-recours, c’est-à-dire des usagers qui renoncent à certains droits (ou s’en voient privés) faute d’avoir pu effectuer une démarche dématérialisée. Le rapport multiplie les exemples de ce type, avec par exemple des demandeurs d’emplois radiés de Pôle emploi faute d’avoir pu remplir certaines obligations effectuées obligatoirement par internet.
Les Maisons de services au public (MSAP), dont le développement est fortement encouragé par l’État, ne sont selon le rapport qu’une réponse « généraliste » et « très insuffisante » par rapport aux besoins d’accompagnement. En nombre insuffisant (il n’y en a que 1330), trop « hétérogènes », manquant de moyens, elles ne bénéficient pas, le plus souvent, « de la compétence et l’expertise des agents des services d’accueil des services publics ».
Par ailleurs – comme l’AMF le pointe depuis longtemps – la dématérialisation conduit souvent à faire reposer sur les communes un rôle d’accompagnement des usagers, voire de mise à disposition de points d’accès informatique et d’un agent pour en expliquer le fonctionnement. « Les élus des communes rurales considèrent que l’on assiste à un fort report de charges et de responsabilité » dans ce domaine, alors qu’ils n’ont « pas la capacité financière pour se doter des équipements nécessaires ».
Préconisations
Dans ce contexte, le Défenseur des droits livre plusieurs recommandations : d’abord, « conserver toujours plusieurs modalités d’accès aux services publics », c’est-à-dire inscrire dans la loi qu’aucune démarche ne puisse être accessible « uniquement par voie dématérialisée ». Autres propositions intéressantes : créer « une clause de protection des usagers en cas de problèmes techniques » et restaurer le principe d’un envoi papier « des notifications d’attribution, de suppression ou de révision de droits comportant des délais et des voies de recours », sauf si l’usager a expressément consenti à un échange dématérialisé.
Jacques Toubon recommande naturellement de mettre l’accent sur le repérage et l’accompagnement des personnes en difficulté avec le numérique, en y consacrant « une part des économies procurées par la dématérialisation ». Il préconise également de mieux former les agents publics « à la détection des publics en difficulté ».
Télécharger le rapport du Défenseur des droits
© sources : Maire Info (www.maire-info.com) – 18/01/2019