Par A.W. et F.L.
Après Emmanuel Macron accusant les collectivités d’être responsables de la dérive des comptes publics, c’est au tour du rapporteur général du Budget à l’Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve (Renaissance), de pointer du doigt les élus locaux en leur imputant une part de la perte de pouvoir d’achat des Français. Le député du Gers a décidé de publier, hier, sur X, un bilan de l’évolution des impôts locaux en vantant l’action du chef de l’État depuis son arrivée au pouvoir en 2017 – publication qui fait suite à celle d’un article dans Les Échos reprenant les chiffres de sa note.
Ce bilan a été aussitôt vivement contesté par l’AMF, dont le président, David Lisnard, a adressé un « droit de réponse » à la rédaction des Échos, hier, où il rappelle que les impôts locaux n’ont pas été « supprimés » mais « nationalisés », ce qui n’est pas du tout la même chose : l’État compense (partiellement) le manque à gagner fiscal pour les collectivités, ce qui représente « 53 milliards d’euros supplémentaires sur le budget de l’État ».
Des impôts locaux « nationalisés » et non « supprimés »
Selon Jean-René Cazeneuve, durant ces sept dernières années, les Français ont bénéficié de « baisses massives » d’impôts locaux (qu’il chiffre à – 22 % en euros courants, soit 341 euros en moyenne) initiées par le président de la République et sa majorité. Mais celles-ci, selon lui, ont été amputées par « la hausse discrétionnaire des impôts locaux » engagées par les maires notamment. Alors que la suppression de la taxe d’habitation a fait gagner plus de 17 milliards d’euros aux ménages, poursuit-il, l’intervention des maires sur le levier fiscal aurait pesé sur le budget des contribuables à hauteur de 4,1 milliards d’euros (et la revalorisation des valeurs locatives à hauteur de 4,6 milliards d’euros).
Un premier argument que l’AMF nuance fortement, en rappelant d’abord que le bénéfice en termes de pouvoir d’achat doit être relativisé : la suppression de la taxe d’habitation, par exemple, n’a que peu profité aux 40 % de ménages les plus modestes, dans la mesure où ceux-ci… ne la payaient pas ou n’en payaient que très peu.
Mais surtout, l’AMF relève que parler, comme le fait Jean-René Cazeneuve, de « suppression d’impôts locaux » relève d’une forme d’abus de langage : l’État a supprimé des recettes fiscales aux collectivités, qu’il compense au moins en partie et, comme il n’a pas « fait l’effort de réduire concomitamment ses dépenses », cette nationalisation des impôts locaux a été financée par de la dette. « La ‘’suppression’’ des impôts locaux va donc rester à la charge des contribuables futurs qui devront rembourser cette dette et ses intérêts », souligne David Lisnard.
Un pouvoir de taux intact ?
Jean-René Cazeneuve se fait fort de lister les hausses successives des taxes sur les logements vacants (+ 120 et + 184 %), de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (+ 20,1 %), de la Teom (+ 26,5 %) et plus particulièrement l’évolution de la taxe foncière sur les propriétés bâties (+ 30,1 %). La progression de cette dernière serait ainsi due pour 14 points à « l’augmentation des taux » mais aussi pour 16 points, reconnaît-il, à la revalorisation des valeurs locatives, qui n’a pas été décidée par les élus locaux mais par le Parlement.
Pour lui, ces augmentations montrent que les élus locaux conservent bien un pouvoir de taux, et que l’autonomie financière des collectivités a été « préservée ». À preuve, pour lui : les collectivités ont vu leurs recettes de fonctionnement « augmenter de 15,6 % » et leur épargne brute « croître de 18,2 % » depuis 2017.
Pourtant, les derniers chiffres l’Insee montrent que les comptes des collectivités se sont dégradés en 2023, « l’essentiel de la dégradation du solde [ayant été] porté par les communes (- 2,6 milliards d’euros) et les départements (- 4,8 milliards d’euros) ».
Sur les hausses d’impôts, l’AMF rappelle des éléments de contexte que le député du Gers a « omis » de prendre en compte, et qui relativisent très clairement ce « pouvoir de taux » que Jean-René Cazeneuve estime intact. Elle rappelle ainsi que la taxe d’habitation sur les logements vacants n’est pas ouverte à toutes les communes, que la TEOM est une taxe affectée et non une ressource « libre d’emploi », et surtout que les réformes successives ont conduit à ce que « les deux tiers de la fiscalité locale » reposent aujourd’hui sur les propriétaires, ce qui « réduit les marges de manœuvre des élus ».
Pour l’AMF, le remplacement des impôts locaux par des dotations – politique menée de façon constante depuis des années par les gouvernements successifs – « affaiblit la démocratie locale », et « prive les collectivités de leur liberté et de leur responsabilité fiscale ».
Quant aux hausses de taux pointées par Jean-René Cazeneuve, elles sont également à relativiser. Loin d’une « explosion » de la taxe foncière l’an dernier, par exemple, une étude de la DGFiP a montré que la très grande majorité des communes a « reconduit (ses) taux de fiscalité locale » l’an dernier. En 2023, la hausse des taux en matière de taxe foncière n’a concerné que 14 % des communes – ce qui signifie que 86 % d’entre elles ne l’ont pas augmenté. Et la DGFiP précise que les hausses ont été « majoritairement inférieures à un point ».
Compensation partielle
Le député du Gers estime enfin que rien n’obligeait les collectivités locales à augmenter les taxes foncières pour contrebalancer la disparition de la taxe d’habitation, puisque « l’État a compensé les collectivités à l’euro près ».
Des arguments balayés par le président du Comité des finances locales (CFL), André Laignel, qui souligne ce matin, dans La Gazette des communes, que la taxe d’habitation « n’a pas été compensée, contrairement à ce qu’a dit le gouvernement, à l’euro près ». La perte est ainsi estimée à « environ 1 milliard d’euros » (et « 700 millions d’euros » sur la CVAE) du fait d’un index moins favorable décidé par le gouvernement « pour la revalorisation des bases de TH » et de « la prise en compte des taux de TH à leur valeur de 2017 » dans le calcul de la compensation en 2020. Les nouveaux habitants ne sont donc pas pris en compte.
Ces réformes se sont bien soldées par une diminution des ressources pour les collectivités, ce qui « entrave la capacité d’investissement public », rappelle l’AMF, et est « d’autant plus préjudiciable que les investissements à financer, notamment pour la transition écologique, sont très importants et soutiennent l’économie de proximité ».
Proposition de débat
Qu’il s’agisse des propos polémiques du chef de l’État ou de la note de Jean-René Cazeneuve, il semble bien que l’on assiste à une offensive en règle de la majorité présidentielle qui pourrait se résumer ainsi : l’État gère bien ses finances et favorise le pouvoir d’achat des Français, tandis que les élus locaux laissent filer la dépense et matraquent fiscalement leurs habitants. Que cette vision soit clairement contredite par la réalité ne semble pas gêner ses promoteurs.
C’est pour mettre ces questions sur la place publique que le président de l’AMF, David Lisnard, a envoyé hier un courrier au président de la République pour lui proposer de débattre avec lui « publiquement » de ces questions, afin de « concourir à la bonne information des citoyens ». Il propose que ce débat ait lieu après les élections européennes ou, si Emmanuel Macron y est prêt, à l’occasion du prochain congrès des maires en novembre prochain.
Source : maire-info.com – 29 mai 2024 – Auteur : A.W. et F.L.