Réforme fiscale : un « tsunami » menace les potentiels fiscaux et la péréquation, selon une étude

Dans un document présenté, jeudi dernier, à l’occasion d’une rencontre organisée par l’AMF sur les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, le consultant en finances locales Michel Klopfer prévoit un « tsunami à venir » sur les potentiels fiscaux qui risque d’engendrer de grands « bouleversements » sur les dotations et la péréquation des collectivités. Parmi les effets collatéraux annoncés, la pénalisation des collectivités les plus pauvres et une perte de DSR cible pour près de 1850 communes en 2022.

Potentiel fiscal : des communes pauvres défavorisées
« Les conséquences de la réforme sur les différentes données permettant de fixer les montants des dotations sont un phénomène important qui n’est pas suffisamment mis en avant », ont indiqué, en introduction de la rencontre, Philippe Laurent et Antoine Homé, respectivement président et rapporteur de la commission des finances de l’AMF. Ceux-ci « souhaitent, cette fois, que les collectivités ne soient pas prises au dépourvu », car « lors des précédentes réformes de la fiscalité locale, on n’a souvent pas perçu les conséquences annexes de ce qui était en train de se passer ».
Devant un parterre d’élus qui ont montré leur inquiétude et parfois leur agacement face à cette réforme, Michel Klopfer a rappelé que le potentiel fiscal (qui sert à mesurer le niveau de ressources des collectivités collectivités et joue un rôle majeur dans la répartition des dotations et des mécanismes de péréquation) et tout ce qui en dépend « évoluent nécessairement lorsqu’il y a une modification fiscale comme celle-là », bien qu’il soit prévu une compensation « à l’euro près » de la taxe d’habitation.
Dans le cas de la suppression de la taxe d’habitation, ce sont les communes pauvres qui auront tendance à être « défavorisées » parce que leur potentiel fiscal risque d’augmenter, alors que les communes plus riches pourraient se retrouver dans la situation inverse, selon les premiers enseignements de l’étude du consultant en finances locales.
Une configuration qui s’est déjà produite, en 2005, avec la suppression progressive des bases salaires de la taxe professionnelle et, en 2012, avec la suppression de la taxe professionnelle et notamment le transfert de la part départementale de taxe d’habitation et des parts régionale et départementale du foncier non bâti au bloc communal.
Dans ce dernier cas, lorsqu’une collectivité perdait un impôt, « plus le taux de l’impôt perdu était élevé, plus le potentiel fiscal de l’année suivante augmentait », et inversement, constate Michel Klopfer. Globalement, en 2012, les collectivités riches ont ainsi vu leur potentiel fiscal s’abaisser, tandis que les collectivités pauvres ont vu le leur être relevé. Ainsi, par exemple, le département de l’Aude est devenu « plus riche » que le département de la Marne sur la base des nouveaux critères alors que c’était l’inverse auparavant.
En revanche, lorsqu’une collectivité recevait un nouvel impôt, « plus le taux de l’impôt récupéré était élevé, plus le potentiel fiscal de l’année suivante diminuait », et inversement, entraînant, dans certains cas, des pertes ou des manques à gagner de DGF.

Plus le taux de foncier bâti du département est bas, plus la commune sera pénalisée
Sur les communes de plus de 10 000 habitants, l’étude montre qu’en l’absence de dispositif corrigeant ces impacts, l’effet collatéral sur les potentiels fiscaux impacterait les communes selon des écarts allant de « – 32 % à + 29 % » et les EPCI « de -54 % à + 117 % ». « D’une manière générale, les résultats pour les communes sont très sensibles au taux de foncier bâti du département », explique Michel Klopfer qui observe que, « dans les Alpes-Maritimes où le taux est bas, les communes vont être pénalisées » et, à l’inverse, « en Dordogne, où le taux est assez élevé, les communes y seront globalement favorisées bien que cela défavorise le département ».
Ainsi, les communes de métropole (celles d’outre-mer n’ont pas été étudiées en raison d’un mode de calcul du potentiel fiscal différent) qui seraient « perdantes » sont celles situées, schématiquement, en Bretagne, dans l’est des Pays-de-Loire, le sud du Centre-Val-de-Loire, le nord et le sud de l’Aquitaine, la Marne, le Cantal, l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, une partie de l’arc méditerranéen (Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Pyrénées orientales), la Savoie et la Haute-Savoie, la Corse…
Concernant les départements, l’effet collatéral sur les potentiels fiscaux les impacterait selon des écarts allant de « – 48 % à + 31 % ». Les gagnants seraient ceux qui ont les taux de foncier bâti les plus bas, tels que Paris, les Hauts-de-Seine, la Haute-Savoie, les Alpes-Maritimes, le Bas-Rhin… En revanche, les perdants seraient ceux qui ont les taux les plus élevés, tels que l’Aisne, l’Aude, les Hautes-Alpes, le Tarn, le Tarn-et-Garonne, le Lot-et-Garonne, la Seine-Maritime, la Dordogne… « Dans ce schéma-là, le département de Paris gagnerait 41,5 millions d’euros, celui de Lyon Métropole 7,5 millions d’euros avec, en parallèle, des pertes pouvant aller jusqu’à 2 ou 3 millions d’euros pour les départements qui perdraient le plus », constate Michel Klopfer.

DSR cible : 1849 communes pourraient la perdre en 2022
Ces bouleversements sur le potentiel fiscal et les critères de ressources auront des conséquences à compter de 2022 sur l’ensemble des dispositifs utilisant ces indicateurs. Ainsi par exemple, dans l’hypothèse où aucun dispositif d’adaptation des critères n’est mis en place, la réforme fiscale en cours devrait faire perdre à 1849 communes le bénéfice de la DSR cible en 2022 (18,5 % des communes concernées), soit « un impact encore plus fort que celui de la loi Notre » qui avait déjà entraîné « un certain émoi » avec la perte du bénéfice de la DSR cible pour 1407 communes (14,1 %) en 2018, alors qu’en « année normale », comme l’année 2019 par exemple, ce sont 835 communes qui ont perdu la DSR cible (soit 8,4 %).
Parmi les autres dotations et fonds de péréquation dépendant du potentiel fiscal qui seraient impactés dès 2022, Michel Klopfer cite, entre autres, les deux autres parts de DSR (bourg centre et péréquation), la DNP, la DSU, le Fpic, la DSC, le FSRIF, le dispositif SRU ou encore la part forfaitaire de la DGF des communes (en 2023), les contributions aux Sdis (en 2023)… Pour le bloc communal, ce ne seraient pas moins de « 11 critères » intervenant dans la répartition de « 18 dispositifs péréquateurs et dotations » qui seront impactés par la disparition de la taxe d’habitation (lire Maire info du 30 octobre). Il serait donc « souhaitable d’anticiper les impacts induits de la réforme, avant qu’ils ne se produisent afin de pouvoir les neutraliser », estime le consultant.
Des impacts sur l’effort fiscal (qui évalue la pression fiscale et affecte la DSR bourg et la DNP) sont aussi constatés.
Afin de neutraliser ces conséquences et « prévenir de trop fortes variations », Michel Klopfer propose de « corriger le mode de calcul du potentiel financier », « créer un potentiel fiscal corrigé pour les EPCI » ou encore « moderniser le mode de calcul de la DSR et basculer les 794 millions d’euros de la DNP sur la DSU (pour les plus de 10 000 habitants) et la DSR (pour les moins de 10 000 habitants ». Autre alternative évoquée par certains élus présents à la rencontre : relancer une réforme de la DGF, qui avait échoué lors du précédent quinquennat.
Le gouvernement a en tout état de cause annoncé que les travaux relatifs aux critères de ressources des collectivités et leur adaptation à la réforme fiscale en cours seront entamés dès le premier semestre 2020 sous l’égide du Comité des finances locales et des parlementaires.


 

© sources : Maire Info (www.maire-info.com) – 04/11/2019